Le droit du travail connaît un certain nombre de droits d’alertes : en matière de santé publique et d’environnement (L.4133-1 c.trav), en cas de recours important à des contrats précaires (L. 2312-70 c.trav), en cas d’atteinte aux droits des personnes (L. 2312-59 c.trav). Mais le droit d’alerte le plus connu qui fera l’objet de la présente étude est l’alerte en cas de danger grave et imminent. Ce droit d’alerte peut être exercé aussi bien par les salariés (L. 4131-1 c.trav) que par le conseil social et économique (ci-après « CSE ») qui devra alors appliquer la procédure prévue à l’article L.4132-1 du code du travail.
Ce droit d’alerte a vocation à prévenir, interrompre, un risque qui menacerait la santé et la sécurité des travailleurs. Précisons que le droit d’alerte n’est qu’une alerte, il ne donne pas pouvoir au CSE et à ses représentants pour agir. Ce droit d’alerte est ainsi la conséquence logique de l’obligation qui est faite à l’employeur de prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » (L.4121-1 c.trav) sous peine de voir sa responsabilité civile et pénale engagée.
Ainsi, en cas de danger grave et imminent menaçant les salariés (I) le droit du travail prévoit un régime particulier visant à mettre fin à cette situation (II).
I. Le principe de l’alerte en cas de danger grave et imminent
L’alerte pour danger grave et imminent suppose la réunion d’un certain nombre d’éléments (A) permettant le déclenchement de l’alerte par les titulaires de ce droit. (B)
A. La définition du danger grave et imminent
Le code du travail ne définit pas directement le concept de « danger grave et imminent». On peut néanmoins noter qu’une circulaire du 25 mars 1993, relative au CHSCT, définissait (Circ. DRT, no 93-15, 25 mars 1993) le danger grave comme « tout danger de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou paraissant devoir entraîner une incapacité permanente ou temporaire prolongée » et le danger imminent comme celui « susceptible de se réaliser brutalement dans un délai rapproché ». Il ressort de cette définition que le danger grave et imminent suppose une véritable menace pour la santé des travailleurs et un caractère soudain.
Toutefois, en pratique, le danger grave et imminent est difficilement saisissable et recouvre une multiplicité de situations. La nature du danger grave et imminent relevant d’une certaine façon de l’appréciation de celui qui le subit. Ce caractère imprécis du danger grave et imminent est vraisemblablement une volonté du législateur qui permet ainsi d’englober le plus de situations à risques.
A titre d’exemple, constitue un danger grave et imminent un risque électrique en raison d'infiltrations d'eau et en l'absence d'intervention sur les câbles électriques ( TJ Nanterre, ord. réf., 23 mars 2021, no 20/02040). En revanche, ne constitue pas un danger grave et imminent le fait d’être exposé à des courants d’air ( Cass. soc., 17 oct. 1989, no 86-43.272), le seul fait de travailler sur un site nucléaire ( CA Versailles, 26 févr. 1996, no 94-22.877), ou encore l’admission dans un établissement hospitalier de malades porteur du HIV n’a pas le caractère d’un risque grave et imminent (TA Versailles, 2 juin 1994 : RJS 1994. 675, n°1142).
Précisions, que le droit d’alerte des travailleurs (L. 4131-1 c.trav) est assouplis. En effet, cet article prévoit que les travailleurs peuvent exercer ce droit dès lors qu’ils ont un motif raisonnable de penser que la situation présente un danger grave et imminent. Or, l’alerte du CSE est plus restrictive puisqu’elle suppose qu’existe une cause de danger grave et imminent (L. 4131-2 c.trav).
B. Les titulaires du droit d’alerte
Le droit d’alerte est donc en principe exercé soit par les salariés qui peuvent directement s’adresser à l’employeur, soit plus fréquemment par les représentants de la délégation du personnel au CSE. Ce droit d’alerte est attribué au CSE de plus et de moins de 50 salariés. ( L. 2312-5 et L. 2312-60 c.trav). Toutefois, ce droit d’alerte ne peut pas être exercé par les représentants syndicaux (Circ. min. DRT no 93-15, 15 mars 1993, BOMT no 93/10, p. 99).
Suite aux ordonnances Macron et au mouvement de conventionnalisation du droit du travail se pose la question de la délégation de ce droit d’alerte notamment à la commission santé, sécurité et conditions de travail (ex : CHSCT). Dans un question réponse le gouvernement semblait répondre par la positive à cette hypothèse (Questions-réponses sur le CSE, min. du Travail, janv. 2020, question no 101). La jurisprudence admet également cette possibilité. Ainsi, dans une affaire récente ( Tribunal judiciaire de Paris, 21 octobre 2021, n° 19/08192), le tribunal judiciaire de Paris a jugé que les dispositions de l’article L.2312-60 du code du travail en matière de danger grave et imminent n’était pas d’ordre public et que dès lors ce droit d’alerte du CSE pouvait être délégué à la CSSCT. Plus récemment, une lecture par analogie d’une décision de la Cour d’appel de Paris ( Cour d'appel de Paris - Pôle 06 ch. 02, 21 avril 2022 / n° 21/09827) semble confirmer cette possibilité de déléguer à la CSSCT le droit d’alerte du CSE en cas de danger grave et imminent.
Une fois, l’alerte pour danger grave et imminent caractérisée se pose la question de sa mise en œuvre et des obligations à la charge de l’employeur.
II. Le régime du droit d’alerte en cas de risque grave et imminent
En cas de danger grave et imminent une alerte est déclenchée (A) qui débouche sur une enquête (B).
A. Le déclenchement du droit d’alerte
En cas de constatation d’un risque grave et imminent les représentants du personnel doivent d’abord immédiatement alerter l’employeur et respecter la procédure prévue par l’article L.4131-2 du code du travail.
D’autre part, conformément à l’article L.4132-2 du code du travail le représentant du personnel au CSE qui déclenche l’alerte doit consigner son avis par écrit. Cet avis doit être consigné sur le registre spécial, numéroté et authentifié par le tampon du comité, à la disposition des représentants du personnel selon les articles D.4132-1 et D.4132-2 du code du travail. Cet avis doit viser expressément la nature du danger, les risques encourus pour les travailleurs. Il doit bien sûr être signé et daté par le repentant du personnel qui émet l’alerte.
Une fois, l’alerte déclenchée se pose la question du droit de retrait. C’est-à-dire la faculté pour les travailleurs en cas de situation de danger grave et imminent de quitter son poste de travail et de ne plus travailler jusqu’à ce que la situation ne soit plus dangereuse. Le droit de retrait ne suppose pas l’accord de l’employeur. En principe, l’appréciation du danger permettant au travailleur d’exercer son droit de retrait (L.4131-1 c.trav) est plus souple que le danger grave et imminent de l’alerte du CSE (L.4131-2 c.trav). Ainsi toute alerte du CSE pour danger grave et imminent pourrait a priori justifier d’un retrait des salariés. Toutefois, le droit de retrait ne doit pas être exercé de façon à créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent. (L. 4132-1 c.trav)
Si le droit de retrait a été exercé de façon légitime l’employeur ne peut sanctionner le salarié qui en a fait usage. En revanche, en cas de retrait illégitime l’employeur peut exercer une retenue sur salaire et éventuellement licencier le salarié pour cause réelle et sérieuse.
B. L’enquête en cas de danger grave et imminent
Lorsqu’un représentant du personnel déclenche le droit d’alerte pour danger grave et imminent et en informe l’employeur, celui-ci doit procéder immédiatement à une enquête et prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à cette situation, conformément à l’article L.4132-2 du code du travail.
De même que le CSE ne peut faire qu’une alerte ( Soc. 29 janv. 1981, no 79-40.583), l’employeur ne peut lui-même apprécier la réalité du danger grave et imminent. Il est tenu de mettre en œuvre une enquête sous peine d’entrave avec le représentant du personnel qui a déclenché l’alerte.
En outre, l’inaction de l’employeur est constitutive d’une faute inexcusable si cette violation a conduit à un accident du travail ou à une maladie professionnelle.
Comme en matière de harcèlement, le code du travail ne prévoit pas un formalisme particulier dans la conduite de l’enquête.
Toutefois, s’agissant de l’enquête, le code du travail prévoit (L.2315-11 1° c.trav) que les membres de la délégation du personnel doivent être payés pour le temps consacré à l’enquête comme du temps de travail effectif.
Si un danger a été identifié l’employeur doit prendre les mesures et donner les instructions nécessaires pour permettre aux travailleurs d'arrêter leur activité et de se mettre en sécurité en quittant immédiatement le lieu de travail. (L. 4132-5 c.trav)
Cependant à l’issue de l’enquête en cas de danger, « en cas de divergence avec l'employeur sur la réalité du danger ou de la façon de le faire cesser, notamment par arrêt du travail, de la machine ou de l'installation, le CSE est réuni d'urgence, dans un délai n'excédant pas 24 heures. » (L. 4132-3 c.trav)
Par ailleurs, l'employeur en informe immédiatement l'agent de contrôle de l'inspection du travail et l'agent du service de prévention de la caisse régionale d'assurance maladie qui peuvent assister à la réunion du CSE (C. trav., art. L 4132-3).
Suite à cette réunion, si le désaccord demeure sur les mesures à prendre, l’employeur doit immédiatement saisir l’inspecteur du travail. (L.4132-4 c.trav)
Dans ce cas trois hypothèses sont envisageables. Il n’existe pas ou plus de danger grave et imminent, et l’inspecteur met fin à la procédure. Il existe un danger grave et imminent et l’inspecteur « met en œuvre l’une des procédures de mise en demeure prévues à l'article L. 4721-1, soit la procédure de référé prévue aux articles L. 4732-1 et L. 4732-2. »
Notons que L. 4731-4 du Code du travail dispose qu'« en cas de contestation par l'employeur de la réalité du danger ou de la façon de le faire cesser, notamment à l'occasion de la mise en œuvre de la procédure d'arrêt des travaux ou de l'activité, celui-ci saisit le juge administratif par la voie du référé».